L'Ordre des Flammes
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Tranches de vie - Annexe 2

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Tranches de vie - Annexe 2 Empty Tranches de vie - Annexe 2

Message par Ashe McGrey Ven 2 Avr - 11:14

Annexe 2 : Blessed memories


    Les fumerolles nauséabondes se firent plus denses, lui montant agressivement aux narines. Étudiant attentivement son environnement, elle le sonda en quête de ce qui pourrait lui servir. Ce n’était, hélas, plus qu’une question de temps avant qu’ils reviennent.
Par un curieux élan de lucidité, la présence du foulard cramoisi sur son flanc se rappela à elle. La pauvre loque de tissu avait bien piètre allure. Roulée en boule, les bords effilochés ; le tout recouvert de traces pour le moins suspectes. Rien de terriblement engageant en somme. Pourtant, elle ne disposait pas du luxe de faire la fine gueule. D’un geste vif, elle s’en saisit et le noua fermement au bas de son visage.
    - Voilà qui devrait me permettre de tenir quelques minutes supplémentaires… -  
    Baissant doucement le menton, elle se ramassa sur elle-même tous les muscles tendus. Un grondement sourd roulait en continu du fond de sa gorge malmenée. Expirant longuement, elle agrippa finalement le manche de l’arme qui ne la quittait jamais et… Entreprit d’émincer finement les tubercules et autres racines prévus pour le dîner.

    Seule dans la douillette cuisine illuminée par les rayons du couchant, elle éclata d’un rire rauque. Elle avait toujours eu un penchant certain pour les aventures et son mari n’avait de cesse de la taquiner à ce sujet. Extraversion qui la menait désormais à déformer le quotidien par le biais d’histoires rocambolesques. Par jeu, souvent. Par ennui, parfois.
Cependant, embellir les événements les plus communs était, avec le temps et la nécessité, devenu une véritable passion. Un moyen avantageux et élégant d’échapper à la prison de son esprit et de son corps. En effet, cela faisait déjà plusieurs années que ce lâche lui interdisait ce qu’elle avait toujours affectionné. L’adrénaline qui accompagnait invariablement les longs voyages, les traques sauvages au sein des plus beaux paysages du continent, le plaisir brut de la chasse, …
    Couchant les oreilles, elle caressa doucement la bosse disgracieuse détendant le tissu en haut de sa cuisse.
L’emplacement de la prothèse qui, maintenant, lui tenait lieu de jambe. Un appui incertain qu’elle avait appris à maîtriser, les gestes du quotidien étant redevenus naturels depuis bien longtemps. Mais ce handicap plus que palpable la privait à tout jamais de ce qui faisait d’elle une combattante implacable. Sa discrétion, son agilité, sa force, …  
Autant de sujets de fierté qu’elle avait dû voir disparaître le jour où le métal avait remplacé la chair.

    Elle n’eut, bien heureusement, pas le loisir de ressasser plus avant les mauvais souvenirs. Le crissement caractéristique du gravier de l’allée principale venait de se faire entendre.
Si son corps était émoussé, ses réflexes n’avaient jamais perdu de leur superbe.
En supplément du son, les fragrances qu’elle captait désormais, lui confirmèrent immédiatement l'identité de ses visiteurs. Laissant là son travail de découpe, elle éloigna le couteau du bord du plan de travail. Précaution indispensable à ce qui allait inévitablement suivre. Le dos appuyé au bois patiné du meuble, sa mauvaise jambe étendue devant elle, un sourire doux se dessina le long de ses commissures.
    Le calme éboulis céda bien vite la place à des sortes d’éclaboussures. Une tempête miniature venait semer la zizanie au sein du champ de gravats, petits cailloux arrondis par les nombreux passages. Des bruits mats l’informèrent que quelques-uns de ces vaillants rochers venaient même de terminer leur course dans les quartiers herbeux voisins.
    - Row va de nouveau être de corvée de ratissage. Il va être ravi ! -

    « Maman ! »
    Le cri, lancé d’un timbre clair et joyeux, la tira immédiatement de sa réflexion.
Se tournant à demi, elle entendit la porte d’entrée s’ouvrir à la volée. Un formidable courant d’air accompagna les déboires de l’ouverture. Et les senteurs boisées de cette fin de journée estivale parvinrent jusqu’à son antre. Dans un soupir plus amusé qu’ennuyé, elle estima la cause perdue. Elle n’avait de cesse de répéter que cette pauvre porte ne méritait pas un tel traitement et pourtant… Des pieds légers martelèrent le sol, leur propriétaire scandant toujours aussi énergiquement le surnom maternel.
    Adossée au plan de travail, elle assista à l’arrivée fracassante d’un petit garçonnet. Moins d’une dizaine d'années, le blondinet était plutôt grand pour son âge. Ses mèches voletant librement au gré de ses mouvements saccadés, il galopait comme si le Diable en personne était à ses trousses. Une poignée de fils de pêche brisés et emmêlés pendaient de sa main gauche comme autant d’étranges serpents.
Découvrant finalement le repaire de la figure maternelle, l’enfant se rua en avant. De l’eau, certainement tout droit venue du lac voisin, détrempait le bas de ses pantalons retroussés pour l’occasion. Manquant de déraper dans les flaques que sa course même causait, il se rétablit vivement en baissant inconsciemment son centre de gravité.
    - Comme un loup sur une corde raide. -
    La catastrophe naturelle teinte en blond la percuta avec énormément d’enthousiasme mais en ayant choisi avec justesse son angle d’attaque. Devant ce mélange incongru de brusqueries et de précautions, son sourire s’élargit encore.
Si elle adorait littéralement son fils (qui le lui rendait bien), elle avait dû se montrer très ferme à ce sujet.
    « Il faudrait toujours faire attention à la mauvaise jambe de Maman. »

    Par bonheur, le blondinet, vif et éveillé, avait immédiatement intégré la consigne. Se faisant même un devoir d’améliorer le quotidien de sa mère par mille petites inventions de son cru. Créations souvent fantaisistes, il fallait bien le dire, mais qui pouvaient parfois trouver un semblant d’utilité. Elle serait d’ailleurs prête à parier que cette pelote de fils était la dernière en date. Rendant son étreinte à ce petit d’homme blond, elle ouvrit enfin les vannes.
    « Alors, mon grand, tu as passé une bonne journée ? »

    Attendrie, elle écoutait depuis quelques temps déjà le babillage du garçon sur le monstre du lac que son père et lui avaient remonté. À force de lui réclamer toujours plus de nouveaux récits et d’en boire les paroles, son fils avait très clairement hérité de son talent d’orateur. Et ce fut une véritable déferlante de détails qui accompagna ses ultimes travaux de découpe. De fait, elle n’avait absolument aucun mal à visualiser la scène. Décrite par le biais de divers gestes et exclamations, celle-ci prenait des tournures de combat titanesque.
    Alors que l’affrontement tournait en défaveur des protagonistes, un léger bruit de craquement dans l’encadrure capta son attention.
Couvant le duo du regard, un rictus malicieux réhaussait agréablement les pommettes de Row. Dès qu’il sut sa présence démasquée, il lui sourit plus largement, dévoilant de longs crocs arqués. Sa face totalement glabre, excepté un fin duvet brun-roux courant sur le pourtour de sa mâchoire, exprimait une patience infinie. Ayant dû ranger le matériel seul, il n’avait pas un seul instant douté de ce qu’il allait trouver. Deux conteurs dans l’âme bavassant joyeusement dans une pièce chauffée par de fins rais d’or. De doux rêveurs.
    Couchant à demi ses oreilles velues, son compagnon fit mine de s’ennuyer fermement devant ce récit haut en couleur. Elle savait pertinemment qu'il ne devait absolument rien avoir de commun avec le résultat de leur petit partie de pêche. Pas même les prises finalement ramenées et fraîchement vidées, pour peu que son odorat ne la trompa pas.
Mais cette expression théâtrale ! N’y tenant plus, elle partit de nouveau de l’étrange rire rauque qui avait déjà résonné plus tôt. Un son à mi-chemin du rire humain et de l’aboiement. Son fils, un peu étonné, coupa net son récit. Figé dans une curieuse posture, à la limite de la perte d’équilibre, son fou rire s’en trouva renforcé. Une fois calmée, des larmes perlant à ses paupières, elle se rapprocha du fabuleux pêcheur de monstre. Caressant sa joue puis son oreille, bien humaine elle, son regard resta pourtant rivé sur le responsable de son éclat.
    « Excuse-moi, mon grand, je ne voulais pas t’interrompre. Mais que personne ne vienne me dire que ton père n’a rien à voir avec les plus grands acteurs de ce monde ! »


***


    « Maman ? »
    Les doigts joints à ceux de son fils, elle sentit une légère pression. Baissant les yeux, elle le vit dessiner du pouce de petits cercles dans le duvet gris-blanc qui couvrait ses phalanges. Un geste doux, un peu distrait. À l’image du petit garçon qu’il était alors…
    De nombreuses choses avaient changé depuis l’époque de la pêche au monstre. L’enfançon blond et bruyant, véritable maelstrom d’énergie, avait bien grandi. Désormais sous les ordres directs du gouvernement, il leur revenait pourtant aussi souvent que ses diverses obligations le lui permettaient. Ses habitudes n’ayant curieusement pas changé avec le temps, il reprenait toujours tranquillement sa place au sein du foyer. Comme s’il ne l’avait jamais quitté plus de quelques heures.
Leur petit commerce, quant à lui, était devenu florissant. Aujourd’hui implanté dans le centre névralgique de la capitale, la modeste boutique était devenue une référence en numismatique et artéfacts en tout genre.
Assurément, de nombreuses choses avaient changé. Seuls demeuraient ses problèmes.

    « Demande-le moi et je te rendrais tes jambes, Maman. »
    Le cœur lourd, elle découvrit le regard déchiré que lui retournait son fils. Elle avait dû pousser un soupir sans s’en rendre compte. Ou alors, l’étrange nouvelle habitude de ce dernier avait encore fait des siennes. L’un dans l’autre, les conséquences apparaissaient pleinement dans les magnifiques yeux bleus qui l'observaient, troublés. Pourtant, elle lui sourit.
Il n’y avait qu’avec elle qu’il s’autorisait à se montrer si vulnérable. Et si elle le connaissait bien, cela devait lui coûter énormément. Détachant l’une de ses mains de l’étreinte, elle posa l’autre sur sa joue. Et sentit un léger tremblement.
    « Séverine…  Je croyais te l’avoir déjà expliqué mille fois. Tes pouvoirs  ne peuvent rien pour moi. »
    S’il ne répondit rien, la pièce se chargea doucement des relents de sels et de chaleur qui accompagnaient la tristesse. Avec une pointe de sang.
    « Et je t’ai déjà dit et répété d’arrêter de te mâchouiller les lèvres. Qui donc croirait que tu es adulte maintenant ? Est-ce donc ainsi que tu te comportes devant les têtes dirigeantes ? »
    La saillie eut la portée attendue. Son fils adoré rit pour elle. Un rire rauque, rien de réellement agréable, si ce n’était qu’il était vrai. Et qu’il lui rappelait des souvenirs.
Le premier son qu’elle avait réussi à tirer de ce garçonnet blond d’environ 5ans. C’était ainsi qu’un enfant d’homme apprenait à rire d’un couple aux caractéristiques lupines.
Lui tirant brièvement la langue, de nouveau taquin, il baisa ensuite légèrement ses doigts avant de se lever.
    « Encore du thé ? »

Ashe McGrey

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Date d'inscription : 20/07/2020

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