La fin d'un monde... - Chapitre 2

par Ashe McGrey Jeu 10 Déc - 13:51

Chapitre 2 : Evocation

1.

Un ricanement désagréable se fit entendre à travers les murs fins de sa mansarde. Ce son malcommode, bientôt sous le couvert d’affreux grincements, fut très vite remplacé par des hurlements hystériques ponctués de bris de verre.
Sans s’inquiéter plus avant de l’état mental précaire de ses voisins immédiats, il balança pensivement les jambes hors de sa couche de fortune. Toute son attention tournée vers le pas lourd du tavernier s’amenuisant à mesure que l’homme menait sa carcasse vers les niveaux inférieurs. Il aurait parié de grosses sommes que ce géant ventripotent se serait montré plus que ravi que son client s’évapora sur l’instant. Même si, évidemment, cela signifiait perdre le bénéfice d’un si long séjour en des temps régis par le mouvement. Au moins, cet animal aurait-il libéré la chambre pour de bon, emportant loin de son auberge son influence somme toute néfaste sur le reste de la clientèle. Rien que la bagarre d’hier lui avait coûté la bagatelle de deux tables relativement en bon état et plusieurs barils de l’un de ses meilleurs crus.
L’individu furibond dévalait maintenant l’escalier avec une promptitude telle qu’il se demanda un court instant si, faute d’un tenancier au cou rompu, il aurait malgré tout à régler ses nuitées. Un léger sourire flotta sur ses lèvres. Cette impressionnante célérité (toute proportion gardée) ne tenait sans doute qu’à l’habitude de poursuivre roublards et mendigots s’esquivant sans payer leur dû. Il imaginait sans peine l’impression de catastrophe imminente que devait produire la course de ce taureau mugissant et hors d’haleine. De là, rares devaient être les tentatives de brigandage. N’en démentait la mine patibulaire qu’affichait l’énergumène sitôt qu’il osait descendre se mêler à la foule de dineurs.
À propos d’ascension, lui avait, sagement et dès son arrivée dans l'établissement, opté pour un déplacement lent et assuré. Malgré une confiance certaine en son sens de l’équilibre, il existait un véritable danger à emprunter ces marches patinées par le passage de maints voyageurs. Et une mort accidentelle ne faisait assurément pas partie de ses plans d’avenir.
De lui dépendaient encore de trop nombreuses choses à régler, et l’une d’entre elles s’impatientait déjà dans la salle commune de l’auberge. À en croire du moins la raucité peu amène dont avait fait preuve le tavernier pour le tirer du pays des rêves. Aussi se décida-t-il finalement à quitter le tas informe de couvertures étalées sur le sommier.
La ponctualité était la politesse des rois.

À peine eut-il posé le pied sur le plancher, gondolé par un trop plein d’humidité, qu’il le releva précipitamment. Le crépitement frénétique des pattes du cafard lui tira une moue partagée entre amusement pincé et dégoût profond.
Assurément, l’établissement faisait bien peu de cas des questions essentielles de salubrité. D’un autre côté, il aurait fallu être le dernier des imbéciles pour imaginer ne serait-ce qu’un bref instant que l’enseigne du Chaudron Fondu indiquait le commerce de qualité.
La bâtisse, ancienne et aux fondations précaires, accusait le poids de trop nombreuses décennies passées à survivre aux rudes climats du nord. La cheminée centrale gitait à la moindre bourrasque, menaçant de s’effondrer sur le voyageur malchanceux empruntant tranquillement l’entrée principale. Un écriteau de fer tordu et piqueté de rouille pendait tristement au bout d’une unique chaîne grinçante. Sa jumelle ayant cédé de nombreuses années auparavant. Jusqu’au piteux état de la chambre qu’il louait pour rappeler la précarité globale du lieu. Le matelas lui-même semblait participer à cette triste comédie et receler suffisamment de bestioles pour le dévorer sur pied. Seule la pièce commune tirait son épingle du jeu. Pour peu de ne pas prêter une attention trop soutenue à certains détails assez malheureux.
À cet ensemble peu reluisant, s’ajoutaient les conditions de son arrivée. Il ne s’était pas senti la force de priver quelques pauvres créatures d’un bon repas et encore moins celle de faire le difficile sur son lieu de villégiature. Bien lui en avait pris finalement car au matin trois hommes étaient venus le trouver alors qu’il déjeunait de pain d’orge et de fromage. Rencontre providentielle annonciatrice d’animation et de gain facile mais qui nécessitait malgré tout un minimum d’implication dans l’affaire. Cela allait sans dire.
Grattant distraitement les nouvelles marques rouges s’ajoutant à la collection qui ornait ses bras, il observait placidement les allers et venues de son camarade de chambrée. La répugnante créature vaquait à ses occupations dans l’enthousiasme du bienheureux.
Envieux, il décida de n’attenter en aucune façon à la vie de cette vermine répugnante.